Se déroule du 3 au 13 avril la 9e édition du prix science Po pour l’art contemporain, initié en 2010 par quatre étudiants à l’ambition double : sensibiliser à l’art contemporain et promouvoir la jeune création contemporaine en devenant un véritable tremplin.

Cette année, le thème retenu est celui de l’indifférence :

« Produit de l’incertitude, de la méconnaissance, ou bien encore d’un sentiment d’impuissance face aux désordres de la société, l’indifférence est la manifestation d’un manque d’attention, de compréhension et d’empathie envers autrui. Que peut l’art face à la fragmentation de ces liens sociaux ? La rencontre entre l’artiste et ses publics autour de l’œuvre d’art peut-elle être facteur de cohésion et contribuer à un meilleur dialogue ? »

Ce sont huit artistes que nous découvrons — ou redécouvrons — Julien Creuzet par exemple ayant fait l’objet d’une très belle actualité après une double exposition à la Fondation Ricard pour l’Art contemporain et le centre d’art Bétonsalon. Nous circulons ainsi parmi les œuvres de Gaëlle Choisne, Ève Chabanon, Arnaud Dezoteux, Marwan Moujaes, Simon Ripoll-Hurier, Natsuko Uchino, Aka Mawena Yehoussi  et Julien Creuzet. Parmi les diverses installations, on remarque que l’image animée est on ne peut plus présente.

Prix Sciences Po 2018, crédit Thomas Arrivé

Prix Sciences Po 2018, crédit Thomas Arrivé

Entre les vidéos de Simon Ripoll-Hurier et Arnaud Dezoteux c’est un étrange dialogue qui s’installe, autant dans le rapprochement physique, la mise en espace des deux projections créant – peut-être involontairement — un jeu d’échos et de superpositions de voix, que dans ce qui est exploré par l’image. Simon Ripoll-Hurier, dans le cadre d’une résidence au lycée agricole de Neubourg, s’est ainsi intéressé au son, demandant aux adolescents avec lesquels il a travaillé d’aiguiser la perception de leur quotidien. Dans la vidéo Sons de compagnie, chaque action génère un bruit qui est enregistré, amplifié. L’artiste compose une partition sonore avec le réel, celle-ci découlant d’une série de gestes montrés à l’écran presque à la manière d’un répertoire. Par l’aspect documentaire de l’œuvre, il tente, paradoxalement, de filmer l’invisible, d’ausculter le spectre de l’audible et de l’inaudible.

Prix Sciences Po 2018, crédit Thomas Arrivé

Prix Sciences Po 2018, crédit Thomas Arrivé

On observe, dans la vidéo d’Arnaud Dezoteux, ce qui serait un autre « glissement du réel ». S’ancrant également à Neubourg, il y filme la ville, le lycée et les champs alentour au moyen d’un drone. Cette technique particulière provoque une certaine distorsion de l’image. Ralentis, accélération brusque, flash lumineux ou bruits électroniques nous donnent une impression étrange des paysages ruraux ou urbains qui défilent sous nos yeux. On se dirait presque plongé dans un jeu vidéo où l’action ne se situerait pas dans un quelconque monde fantastique, mais où la fictionnalisation du réel par la technique semble nous y faire basculer.

Au sein de l’installation de Marwan Moujaes, Je vous ai apporté des bonbons. Parce que les fleurs c’est périssable, la vidéo s’articule avec un dispositif sonore et un groupe d’objets singulier : des friandises au miel placées dans une bonbonnière. Il nous faut patiemment comprendre la circulation qui se fait entre les trois éléments : l’image projetée dont on devine après quelque temps qu’elle est un film, par le lent mouvement des arbres portés par la brise, nous montre une vue aérienne du cimetière juif de Beyrouth, espace chargée d’émotion et d’histoire, délaissé et désormais inaccessible. Un lent bourdonnement parvient à nos oreilles : l’artiste a installé une ruche tout contre le mur du cimetière puis recueillit 80 grammes de miel dont la quantité correspond au 1800 m2 carré du cimetière pour en faire 100 grammes de bonbons. Cette installation nous invite à imaginer l’action de l’artiste qui emprunte un savoir-faire lié au domaine agricole pour le déplacer. Son geste réancre le cimetière dans une histoire et une mémoire collective, y infuse du vivant là où seules des âmes reposent et nous offre un objet qui se partage. La force émotionnelle de l’œuvre s’allie à la délicatesse et la sobriété d’un dispositif où l’on ne bascule jamais dans le pathos.

Prix Sciences Po 2018, crédit Léo Rivaud

Prix Sciences Po 2018, crédit Léo Rivaud

Prix Sciences Po 2018, crédit Léo Rivaud

Prix Sciences Po 2018, crédit Léo Rivaud

Cette même délicatesse se retrouve dans le travail de Natsuko Uchino qui présente Exte Mouton, un ouvrage textile, une grande laine feutrée teinte à l’indigo. Son travail qui se situe à la jonction de l’artisanat d’art et l’art contemporain – question éminemment actuelle – fait appel au collectif. Elle a ainsi travaillé en résidence à l’espace Etxe Nami, lieu atypique à Saint-Jean-de-Luz qui tisse des liens entre le Japon et le Pays Basque, faisant appel à des artisans de la laine et de la teinture. Mobilisant un savoir-faire français en train de disparaître, le textile reste imprégné d’une esthétique toute japonaise : on songe à des motifs imprimés sur un kimono, à une estampe…

Chez la jeune artiste, il semble bien s’agir de penser ce qui n’est plus alors une (in) différence, mais au contraire, hybrider les cultures, les techniques, les références.

Emma Larretgère