Explorers est un projet d’exposition nomade, basé sur l’échange entre la scène émergente parisienne et sa contrepartie londonienne. À l’origine du projet, Raphaël Giannesini qui, il y a un an, alors diplômé de la Central Saint Martins et de retour en France, décide de monter un projet collaboratif en partant de ses préoccupations artistiques – notre rapport à l’espace et son exploration.

Avec Julia Klante, aussi fraîchement de retour de Londres, ils programment donc un premier volet d’expositions, à Paris en mai et à Londres en juin, mettant en scène le travail de 16 artistes français et anglais.

16 artistes – dont Caroline Corbasson, Radouan Zeghidour, George Eksts et Zsofia Schweger – répondront donc au défi de « concevoir des nouveaux récits d’exploration »; explorer donc cette Terra Cognita, dans un monde où tout est cartographié, et questionner « la frontière poreuse qui sépare aujourd’hui le connu de l’inconnu, le domestique de l’exotique, le local du global. »

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’intention du projet Explorers?

Julia : Nous avons souhaité, avant tout, créer un pont artistique entre la France et l’Angleterre, ayant tous les deux travaillé dans le milieu de l’art contemporain à Londres, et exposer des artistes autour d’une idée commune et fédératrice. Raphaël a fait ses études à la Central Saint Martins et avait déjà travaillé sur cette idée de voyage « Sur Place », questionnant la notion d’exotisme et « d’ailleurs ». Aujourd’hui, il souhaite donc mettre ses compétences et recherches au profit de ce projet qui réunit une génération d’artistes aux techniques plastiques et nationalités différentes. Autour de ce thème et grâce à nos formations complémentaires, nous avons décidé de nous associer, lui comme commissaire d’exposition et moi comme responsable de la gestion, communication et partenariat, après mes différentes expériences dans ce secteur (Frieze, Studio Voltaire, Moving Museum…). Ainsi, nous avons pu fusionner nos deux réseaux et faire appel à des institutions entre Paris & Londres (Eurostar, Heineken, Courvoisier), des journalistes (Technikart, Modzik, Crane Tv..), des galeristes (Suzanne Tarasieve…) et autres personnes impliquées dans ce secteur. Andreas Siegfried a été notre partenaire principal sur ce second volet. Au même moment, dans un autre espace, il exposait aussi trois jeunes artistes émergents dont l’artiste française Madeleine Roger Lacan. Cela nous a permis d’approfondir ce dialogue français et anglais et de travailler simultanément avec d’autres expositions qui soutiennent la jeune création.

Revenus à Paris depuis un an, il nous semblait également opportun de conserver et d’approfondir cette relation avec Londres.

L’idée première était d’ouvrir la jeune scène française vers d’autres horizons et de proposer un programme d’expositions itinérantes entre Paris et Londres.

Aujourd’hui, suite aux bons retours de ce premier volet, nous avons agrandi notre équipe et amorçons un nouveau dialogue en faisant légèrement évoluer les thématiques et les lieux d’échanges (Paris et Berlin prévus début 2017). Etant franco-allemande, j’aime l’idée de travailler avec la scène artistique berlinoise connue pour ses espaces hors du commun. Nous avons envie d’aller plus loin dans le projet, de trouver de nouveaux artistes et de travailler dans de nouveaux lieux. L’immersion dans des scènes européennes différentes de la nôtre va nous permettre de générer de nouveaux dialogues.

Vue de l’exposition, Explorers Chapter II, Londonewcastle project space, Londres, Juin 2016

Vue de l’exposition, Explorers Chapter II, Londonewcastle project space, Londres, juin 2016

Raphaël : C’est vrai qu’à mon retour de Londres j’ai trouvé que la jeune scène artistique française était un peu fermée sur elle-même. Paris, c’est beau mais les loyers sont chers, les galeristes contraints et timides, et les collectionneurs misent sur des valeurs sûres. Les jeunes artistes internationaux n’y mettent d’ailleurs plus les pieds. On passe très vite du centre à la périphérie, le temps de l’avant-garde est derrière nous, il faut construire une autre histoire. Paris doit redevenir un lieu de rencontre, un pôle attractif ouvert vers l’extérieur. Une nouvelle dynamique doit être aussi créée afin d’intégrer les jeunes artistes français dans une logique globale sans pour autant les absorber ou les dévoyer.

C’est nécessaire pour les artistes d’avoir un point de fixation, leur identité plastique en dépend. Cependant il faut aussi pouvoir la faire évoluer au contact d’autres lieux de création. Plusieurs grands artistes se sont révélés à eux-même et autres justement à travers ces expériences à l’étranger. Duchamp à Munich, Manet à Madrid, Monet à Londres. 

Comment le choix des artistes et des pièces s’est-il fait autour de ce thème du Terra Cognita?

Raphaël : La plupart des pièces sont des nouvelles productions, créées spécialement pour l’exposition. Certaines sont des œuvres déjà existantes, mais les artistes les ont adaptées en fonction du format de l’exposition et de la typologie des lieux. C’est peut-être ça aussi qui crée la singularité de nos expositions.


L’exploration c’est avant tout l’idée d’un récit entre un ici et un ailleurs.


Ce projet donne ainsi l’occasion aux artistes d’exposer successivement dans deux contextes différents, cela leur permet de penser leur pièce comme des fictions en mouvement et en évolution dans le temps et dans l’espace. Je pense par exemple à la cabine téléphonique de 4th dimension, qui à Paris était le véhicule d’une exploration participative menée aux alentours de la galerie, mais pilotée à l’intérieur de cette dernière par le public. Cette cabine une fois transportée à Londres assumait une nouvelle fonction. Elle devenait la trace de cette performance passée, accompagnée de fanzines qui racontaient cette histoire par un autre support.

4th Dimension, «A call from the 4th », 2015

4th Dimension, «A call from the 4th », 2015

L’exposition s’est ouverte à Londres au lendemain du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE alors que ces deux volets d’expositions se basaient sur des relations France – UK. Comment pensez-vous que ces ponts entre les deux pays vont évoluer dans ce scénario post-Brexit?

Julia : Nous sommes arrivés le jour J, et avons tout de suite senti la tournure différente que prenait notre exposition prônant les échanges artistiques internationaux et traitant de la notion de territoire et de son appropriation. Dans ce contexte, il nous paraissait  important d’affirmer cette prise de position en insistant sur l’importance de notre échange entre ces deux capitales majeures dans l’art contemporain en Europe. Les thèmes abordés par Explorers évoquent également la disparition progressive des frontières et les échanges entre les différents pays, en opposition au Brexit.

Je suis persuadée que le dialogue artistique entre la France et l’Angleterre, certes fragilisé, persistera par l’omniprésence des foires internationales, des galeries européennes et de l’influence de l’art contemporain Anglais sur les artistes Français. Le dialogue avec Londres nous a persuadé d’aller plus loin et de continuer de travailler sur ce concept de ponts culturels entre deux pays.

Radouan Zeghidour «Aidoneus Jana», 2016

Radouan Zeghidour «Aidoneus Jana», 2016

Vous avez tous les deux passé quelques années à Londres et êtes basés à Paris désormais. Quelles sont les différences entre les deux scènes selon vous? Et comment les artistes émergents s’y positionnent-ils ?

Raphaël : La différence majeure réside dans le fait qu’à Londres l’art s’inclue à l’intérieur d’un système plus large dans lequel évolue l’architecture, le design, la danse, la mode… Il pénètre donc aujourd’hui le corps social, qu’il ouvre à l’appropriation, à la discussion et donc au changement. Ses possibilités formelles et théoriques s’accroissent, son champs d’action augmente. J’ai l’impression qu’en France l’art se préserve un peu plus. Il construit toujours son propre socle de légitimité. Sa sphère d’influence risque de diminuer à mesure qu’il se cantonne à ses carcans artificiels. Mais une génération d’artistes talentueux et innovants émerge, c’est avec eux que l’on travaille.

Zsofia Schweger, Off The Map (series), 2016. Collage papier. 10 x 11,5 cm.

Zsofia Schweger, Off The Map (series), 2016. Collage papier. 10 x 11,5 cm.

Finalement, quels espaces et galeries à Londres conseillez-vous?

Julia : J’aime beaucoup la White Cube de Bermondsey et la Chisenhale gallery ; les expositions y sont toujours de qualité, épurées et très diversifiées. Pour l’art plus « classique », la National Gallery impressionne et nous plonge dans un autre temps.

Raphaël : Si j’avais un seul lieu à conseiller, ça serait le Sir Sloane Square Museum. On rentre dans l’appartement de l’un des plus grands architectes anglais du 18ème siècle. Gardé en l’état, on chemine à travers un réseau de galeries, de pièces obscures et étranges afin de découvrir des collections entières d’objets et de curiosités, de peintures romantiques et autres oeuvres d’art ramenés de ses nombreux voyages. C’est l’époque du Grand Tour, où l’éducation de la jeune aristocratie anglaise passait par un voyage initiatique à travers l’Europe et au delà : la France, l’Italie, la Grèce et l’Égypte. Un lieu et un principe inspirant pour Explorers.

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