Deborah Bowmann est un artist run space à Bruxelles tenu par le duo d’artistes Victor Delestre et Amaury Daurel. Ils se sont rencontrés à l’école des Beaux-Arts de Bordeaux et ont complété leurs cursus avec des Masters chacun de leur côté : Amaury à la Glasglow School of Art et Victor au Dirty Art à Amsterdam où il a ouvert un squat avec d’autres étudiants. Amaury a rejoint Amsterdam en 2014 et c’est dans ce lieu que Deborah Bowmann a vu le jour.

Deborah Bowmann a donc commencé à Amsterdam?

Oui mais à l’origine de Deborah Bowmann ce n’est pas le squat. C’est juste le lieu où c’est arrivé factuellement. On a commencé à travailler en amont théoriquement pendant un an. On a écrit un business plan de 40 pages – une forme qui va très bien à Deborah Bowmann d’ailleurs. C’était pour une bourse qu’on a pas eu mais on s’est rendu compte que le projet tenait vraiment debout et on a senti la nécessité de le réaliser. Au même moment, il y a eu ce lieu ouvert par Victor et des artistes du Dirty Art. Étant donné que les circonstances et le contexte étaient vraiment favorables, Deborah Bowmann a commencé là-bas. Ça aurait été beaucoup plus dur d’avoir un loyer à payer dès le départ.

Payez-vous un loyer maintenant ?

Oui, on est dans une économie assez classique. Durant un an on a pu apprendre dans un environnement où l’aspect financier avait peu d’importance. Même si parfois économiquement c’est un peu difficile, on est à bloc, hyper motivés. De plus, aujourd’hui on peut planifier les événements et les expositions sur le long terme, chose qui était très peu possible dans le squat, où tout peut potentiellement s’arrêter du jour au lendemain. Ces nouvelles conditions nous permettent un certain confort qui est finalement assez bénéfique au projet.

• Photo n°1 Vue d'exposition - 'Back in ten minutes' - une collaboration Deborah Bowmann Studio © avec la galerie Silicone
- du 17 décembre au 17 janvier 2015 à la galerie Silicone, Bordeaux

Vue d’exposition – ‘Back in ten minutes’ – une collaboration Deborah Bowmann Studio, galerie Silicone, Bordeaux

Quels étaient les envies de ce projet?

Au début de notre business plan, on voulait que ce soit comme une grande sculpture vivante, une galerie d’art déguisée en magasin et un magasin déguisée en galerie d’art. On pensait le projet sur une durée de un an avec un début et une fin. Au fur et à mesure on s’est rendu compte qu’il y a beaucoup de choses qu’on veut encore développer et cette sculpture n’a donc pas de fin prévue à ce jour.

Comment définissez-vous cette “grande sculpture”?

Une sculpture vivante où tous les éléments sont autant sculpturaux que de l’ordre de la performance. Tout ce que l’on manipule est un matériau et nous sommes également des matériaux vivants. C’est une performance qui n’a ni scène, ni vrai jeu, ni texte écrit. Le seul texte écrit c’est peut-être le business plan mais il s’agit juste de questions économiques de marketing, de branding et d’entrepreneuriat.

Comment définiriez-vous Deborah Bowmann ?

Deborah Bowmann est un nom qui renvoie autant à une pratique curatoriale qu’à une pratique d’atelier et qui met ces deux activités sur le même plan. On emploie des stratégies de marques et entrepreneuriales. On travaille dans une forme un peu circulaire : on cherche à proposer un modèle économique ainsi qu’un système de représentation alternatifs. Deborah Bowmann c’est aussi un projet véritablement collaboratif, dans lequel les artistes qu’on invite acceptent de se plier à certaines de nos règles. Ils prennent part à une imagerie propre aux objets de consommation courants (dans l’espace physique de la galerie et celui virtuel du site web). Les artistes ont toujours leurs mots à dire sur la commission de l’exposition.

Ces activités sont variées. Sont-elles engagés pour une reconsidération du statut de l’artiste?

Oui, nous l’abordons avec une dimension parodique mais il y a également une dimension plus critique qui interroge ce que c’est d’être un artiste entrepreneur dans une logique de sur-médiatisation. Aujourd’hui l’économie fonctionne sur des régimes spectaculaires, ainsi, on ne peut plus éviter les questions marchandes, d’économie et de survie en tant qu’artiste.

Comment se traduit cette critique au sein du projet?

Toute la stratégie DB est une exagération de la représentation, de la corporation et du commerce. C’est une sur-représentation de la marketisation de l’artiste. L’artiste en tant que producteur de services, de biens de consommation sont des faits ultraactuel à repenser. Depuis le début du XXe siècle, les artistes sont des marques. Ils ont leurs styles et ils se vendent comme ça.

vue d'exposition - 'TANGO CHALLENGE' - une collaboration Deborah Bowmann avec Michele Rizzo, Laurent-David Garnier et Deborah Bowmann Studio ©    - du 14 janvier au 10 mars 2016, Deborah Bowmann, Bruxelles    Vue d’exposition – ‘TANGO CHALLENGE’ – une collaboration Deborah Bowmann avec Michele Rizzo, Laurent-David Garnier et Deborah Bowmann Studio, Deborah Bowmann, Bruxelles

Oui justement j’ai lu dans l’ouvrage de Catherine Millet un passage très intéressant sur l’attitude de Dalì par rapport à cela, il sur-joue ce rôle “d’artiste”, de “marginal”…

Ce qui est intéressant chez Dalì et la raison pour laquelle on se sent proche de sa pensée, c’est qu’il ne dit pas qu’il est une œuvre : chez lui c’est un lifestyle. Il exagère ses attitudes parce qu’il est conscient que l’artiste est toujours derrière son œuvre Il y a des artistes – en réaction à cette dimension spectaculaire de l’art – qui vivent en retrait et cela nous touche tout autant. À l’inverse, nous nous approprions les outils et les stratégies actuelles pour nous représenter. Il y a une autre raison pour laquelle on décide de travailler sur cette sur-représentation, ce n’est pas tant dans nos rôles d’’artistes’ mais dans nos rôles de ‘galeristes’. En fait, on sur-joue ce que font déjà certain galeristes qui se montrent beaucoup. Nous exagérons cette posture afin que le galeriste devienne une œuvre  lui-même.

Produisez-vous encore des pièces sous vos vrais noms ?

Oui de temps en temps. Pour une pseudo invitation de Deborah Bowmann. Ce qui est intéressant c’est que Deborah Bowmann n’est pas encore clair pour beaucoup de gens.

Oui! Il y a des gens qui pensent que vous êtes ses assistants.

On se présente souvent comme ses représentants. Quand on a choisi ce nom on était à la recherche d’un nom qui puisse créer une mythologie un peu latente qui permettait d’en être les représentants et non les directeurs.

La définiriez-vous comme un avatar?

C’est une marque. Nous n’accentuons pas tant que ça la mythologie. Nous jouons un rôle un peu étrange de valets en costard qui exécutent les ordres d’une femme qu’on a jamais vu.

Vous n’avez pas créé sa vie?

Non, on a pas vraiment envie de trop simuler et de sur-jouer. Lorsque les gens nous le demandent dans une certaine intimité on dit la vérité. C’est dans l’existence virtuelle que l’on souhaite créer une mythologie.

Aujourd’hui vous présentez des pièces de mobilier pour la boutique d’Andrea Crews rue de Turenne. Est-ce une activité qui s’inscrit au sein de la marque Deborah Bowmann?

On a beaucoup affirmé le fait qu’on produise des présentoirs en tant que sculptures. C’est donc très encourageant pour nous d’être dans une économie extra-artistique avec le projet pour Andrea Crews. L’ambivalence est encore plus étrange parce qu’on ne montre pas cela dans une galerie mais à l’occasion d’une vraie commande, au sein même du magasin.

• Photo n°4 Vue d'installation - 'Proposal for Andrea Crews' - une collaboration Deborah Bowmann Studio © avec Andrea Crews, Paris.

Vue d’installation – ‘Proposal for Andrea Crews’ – une collaboration Deborah Bowmann Studio, Andrea Crews, Paris.

Est-ce l’équipe d’Andréa Crews qui vous a contacté?

Oui, c’était l’artiste Clémence Seilles, également professeur au Dirty Art, qui nous a mis en connexion.

Comptez-vous à continuer à répondre à ce genre de projets?

Depuis le début on souhaite faire des présentoirs dans une économie de commande. On a très envie de prospecter en costard, démarcher des shops. Par exemple, grâce à ce site LittleVanGogh qui s’occupe de louer ou vendre des pièces d’artistes à des hôtels, des restaurants ou encore des banques. Ce service nous intéresse parce que c’est vraiment dans le propos. C’est le moment où l’œuvre devient un produit en réponse à une demande, et l’artiste, un producteur de biens et de services. C’est un peu plus que juste de la résistance des œuvres  en tant qu’œuvre  d’art – qui est une question un peu ancienne – on est intéressé par le moment de crise, le moment où on ne peut même plus de parler de résistance.

Ainsi l’oeuvre a une utilité, elle vient en échange d’un besoin.

Oui tout à fait. En même temps elle rentre dans un circuit qui n’est plus celui de l’art, ou du moins qui n’est pas celui auquel un artiste rêverait.

Du coup dans le cas Andrea Crews où vous placez-vous?

Victor : En règle générale je me sens artiste, mais j’aime l’idée de penser et réfléchir comme un designer.

Amaury : Moi je préfère me considérer comme artiste et penser que j’infiltre d’autres zones que de me dire que je suis en train de devenir designer.

Les présentoirs pour Andrea Crews ils vont rester combien de temps?

On ne sait pas mais on les a fixés à la colle extra-forte dans le mur donc ils ne vont pas être faciles à sortir!

Plus d’informations

Le site de Deborah Bowmann

Ouvert du mardi au samedi, de 13h à 18h, 24 Avenue Jean Volders, .Brussels

jusqu’au 15 mai : ‘Starting over and failing again’ avec Remi Lambert et Ludovic Beillard