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Un récit empreint de colère et aux lueurs d’énigme, la réalisation d’apaisants breuvages offerts au public : voici ce qui était au coeur de la dernière proposition de Tiphaine Calmettes. Lors de la 13e édition du festival Hors Pistes, consacrée, cette année, au concept de la Nation et au dépassement de sa définition première, l’artiste avait investi l’un des espaces du forum – 1 du Centre Pompidou afin d’y opérer cette lecture performée intitulée Ne récolte-t-on que ce que l’on sème.

Tiphaine Calmettes, Festival Hors Piste, Centre Pompidou, 2018 ©Guillaume Chep

Tiphaine Calmettes, Festival Hors Piste, Centre Pompidou, 2018 ©Guillaume Chep

Notes en mains et entourée de livres, Tiphaine Calmettes affirme la recherche comme partie prenante de son travail. Fidèle au fond méthodologique qui sert sa pratique plastique, l’artiste opère ici un véritable tissage textuel, élaboré à partir de sources diverses, multipliant les registres, densifiant les discours : créer de nouveaux récits à partir de ce qui existe déjà. S’entremêlent ainsi des extraits issus de lectures et ceux nés d’une écriture personnelle, une pratique encore récente pour elle, nouveau moyen d’expression viscéral. Le collage qui en résulte se retrouve doté d’une dimension politique. Il répond à une thématique de commande spécifique l’amenant à se tourner vers trois personnages de la place publique. Successivement, nous les retrouvons tout le long de sa lecture. Il y a tout d’abord le crieur, qui relaie des informations provenant de l’état, relatives à l’actualité ou bien publicitaires, le compteur et le charlatan qui, tous les deux à leur manière, se plaisent à relater des histoires. Ces personnages permettent à l’artiste d’évoquer une société actuelle à la dérive.

« J’ai ressenti la nécessité d’incarner l’écriture, de pouvoir la jouer, la mettre aussi en relation avec une idée du vécu (…) jouer sur les sens décrits et les sens vécus. » Tiphaine Calmettes

Plusieurs petits calques investissaient également l’espace où se jouait la performance ; la poursuite d’un projet sur les banques d’images. Celui-ci a amené Tiphaine Calmettes à découvrir les recherches réalisées par Muriel Pic sur l’écrivain et essayiste Georg Sebald. Muriel Pic y parle de « réversibilité des images » et de l’usage des images du passé comme indice du futur. Elle met cela en parallèle avec un ordre divinatoire. Tiphaine Calmettes, quant à elle, a relié cette pensée avec la question de l’« ancestralité » convoquée par Quentin Meillassoux. Il revient sur la lecture scientifique d’objets et d’événements préexistants à la présence humaine sur terre : comment pouvons nous prouver la justesse de ces récits ? Tiphaine Calmettes s’interroge ainsi sur la manière dont on crée des histoires à partir d’objets, et sur leur capacité à faire évoluer l’appréhension que l’on a d’eux.

Loin de la tendance bobo ou post-hippie, Tiphaine Calmettes, artiste pédagogue, tente, dans une forme d’austérité positive, le rapprochement de l’herboristerie avec la nation. On aurait envie d’inscrire ce geste dans la lignée de ceux d’un Joseph Beuys, lui-même attentif aux énergies transmises par la matière organique. Tiphaine Calmettes convoque les propriétés thérapeutiques des plantes rudérales, à la fois nourricières et guérisseuses, et nous renvoie à leur usage primaire. Elle s’est intéressée à leur symbolique afin de les incorporer à son récit. Chez elle, la nature intervient tel un leitmotiv, l’interrogeant notamment dans sa relation à l’architecture. Au cours de sa performance, elle s’est attelée à la préparation de tisanes, dont les recettes ont été préalablement puisées dans des livres de cuisine. Elle nous rappelle, dans le même temps, les vertus et bienfaits des herbes sélectionnées pour l’occasion. Celles-ci sont conservées au sein de récipients minutieusement alignés sur des étagères métalliques. Une fois la préparation infusée dans l’eau bouillante, le breuvage est servit au public, la lecture peut reprendre.

C’est donc en un geste simple que l’artiste tente d’instaurer un moment de convivialité, de partage et de commun social. Il est aussi question d’expérience sensible, sensitive, intime car chez Tiphaine Calmettes, les sens du spectateur sont souvent convoqués. Lors de sa première exposition personnelle, tenue à la galerie Arnaud Deschin à l’automne 2017, elle avait imaginé un repas à base de plantes sauvages urbaines, en collaboration avec la cheffe Virginie Galland. Chaque plat était accompagné d’un texte et permettait la découverte de saveurs oubliées à un public convié. Cet apport archaïque s’inscrit aux antipodes des repas colorés organisés, à titre d’exemple et des décennies auparavant, par les artistes Dorothée Selz et Antoni Miralda. Pourtant, dans les deux cas, le cérémoniel entre en scène.

« Dans le rituel il y a quelque chose de théâtralisé, qui s’affilie à une croyance et donc à une intention » Tiphaine Calmettes

Sorcière affranchie, Tiphaine Calmettes s’adonne à une nouvelle forme de rituel. Le parti pris dans lequel elle s’est engagée est celui d’une lecture au ton franc à la rythmique linéaire, une lecture se faisant hypnotique. Ensorceleuse bienveillante, elle suit à la lettre un protocole – au gramme prêt – pour l’élaboration de ses tisanes. De temps à autres dans sa lecture, elle fait discrètement référence aux sciences ésotériques. Le ton usité reste ambiguë ; y croit-elle vraiment ? L’artiste affirme pourtant que les pratiques ancestrales sont susceptibles d’apporter des réponses, de nous apprendre des choses, nous remémorer ce qui a été oublié. Un voyage de l’artiste en Mongolie est peut-être en partie à l’origine de cette pensée interrogative : quel rapport avons nous avec les esprits, les énergies, la nature et quelle est l’histoire du rejet actuel des discours qui s’en rapportent ? Dans La fleur au fusil, ouvrage déterminant chez l’artiste, Georges Oxley évoque cette idée en partant de questions économiques, politiques et relatives au pouvoir. Tiphaine Calmettes aime les histoires, les lire et les raconter, mais s’attache surtout à prendre de la distance par rapport à elles, réfléchir à leurs sens. Elle se dote d’une nouvelle facette, s’improvisant ici archéologue du récit.

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Tiphaine Calmettes
Hors Pistes

Tiphaine Calmettes, Festival Hors Piste, Centre Pompidou, 2018 ©Guillaume Chep

Tiphaine Calmettes, Festival Hors Piste, Centre Pompidou, 2018 ©Guillaume Chep

Tiphaine Calmettes, Festival Hors Piste, Centre Pompidou, 2018 ©Guillaume Chep

Tiphaine Calmettes, Festival Hors Piste, Centre Pompidou, 2018 ©Guillaume Chep

[English version]

TIPHAINE CALMETTES & HORS PISTES FESTIVAL

A narrative full of anger and shimmering like a riddle, the making of soothing beverages offered to the audience, here was the core of Tiphaine Calmettes‘ last concept. For the 13th edition of the Hors Pistes festival, dedicated this year to the idea of Nation beyond its primary meaning, the artist used one of the areas of the National Museum of Modern Art Centre Pompidou to showcase this performed reading named Ne récolte-t-on que ce que l’on sème (« Do we harvest only what we sow »).

Notebook in hand, and surrounded by many more books, Tiphaine Calmettes stresses that the research is fully a part of her work. Following the methodological background which sustain her creative work, the artist mixes here diverse sources and styles, densifying the narratives, in order to create new stories out of existing ones. Excerpts from her readings and personal texts, a mean of expression with which she only recently started to work, are thus intertwined. The resulting patchwork gains a political dimension. It answers to the theme of the festival, by suggesting seeing the Nation through the plants and using three characters typical of street life to do so. During the performance, we meet first the town crier, sharing information from the government, news or advertisements, then the public storyteller and the quack, who both like telling stories their own way. These characters are used by the artist to evoke our drifting society.

« I felt the need to embody the writing process, to be able to play it and connect it with an idea of life (…) to play on the described emotions and the ones we live. » Tiphaine Calmettes

Several small carbon copies were also present within the space taken by the performance, extending a project on image banks. Thanks to this previous project, Tiphaine Calmettes discovered the research of Muriel Pic on the writer and essayist Georg Sebald, in which she reflects about « image reversibility » and the use of pictures from the past as clues about the future. She compares it to divination. On her side, Tiphaine Calmettes links these concepts to the question of « ancestrality » summoned by Quentin Meillassoux. Reconsidering the scientific approach of objects and events which time preceded human presence on Earth, he wonders: how can we prove the accuracy of what we deduce from them? Using a similar approach, Tiphaine Calmettes questions the way we create stories from objects and their potential to change what we think we know about them.

Far from the hipster or post-hippie trend, Tiphaine Calmettes tries, with pedagogy, to bring herbalism closer to the nation, in a kind of positive austerity. This reminds us of the ideas of Joseph Beuys, himself very mindful of the energies transmitted by organic materials. Tiphaine Calmettes summons the healing properties of ruderal plants, useful both as food and medication, and reminds us of their primary use. She studied their symbolism in order to incorporate it into her narrative. In her works, nature is always present like a leitmotiv, interacting with her ideas on architecture among other themes. During her performance, she prepared herbal teas, based on receipes from cookbooks. While doing so, she reminds us the virtues and qualities of the plants selected. Those are kept in containers carefully aligned on metallic shelves. Once the herbs infused in boiling water, the beverage is served to the audience, and then the lecture resumes.

It is thus with a simple act that the artist tries to create an atmosphere of friendliness, of sharing, of social community. It is also about sensitive, inner experiences, as Tiphaine Calmettes often plays with the senses of the spectator. For her first solo exhibition, at the Arnaud Deschin gallery during the autumn 2017, she created a meal made out of urban wild plants with the help of the chef Virginie Galland. Each dish was served with a text and offered to the guests a discovery of forgotten flavors. This archaic input is at the exact opposite of the colorful meals organized decades earlier by the artists Dorothée Selz and Atoni Miralda for instance. Yet, in both cases, ceremonial is essential.

« In a ritual, there is something dramatized, as in theater, which stems from a belief, and thus from an intention. » Tiphaine Calmettes

Freed witch, Tiphaine Calmettes devotes herself to a new kind of ritual. The form she chose is that of a lecture read straightforwardly and with a linear rythm, a lecture becoming gradually hypnotic. A caring sorceress, she strictly follows a very precise protocol for the making of her infusions. From time to time during her lecture, she discreetly alludes to esoteric sciences. Her tone remains ambiguous: does she really believe in it? Yet, the artist asserts that ancient traditions can bring answers, can teach us and remind us what has been forgotten. Her travel in Mongolia might be one of the sources of the questions she tries to clarify: how are we connected to spirits, energies and nature, and how did these concepts become so dismissed nowadays? In La fleur au fusil, which had a crucial impact on the artist’s own reflection, Georges Oxley mentions this idea through economic and political considerations. Tiphaine Calmettes likes stories, to read and tell them, but she is even more willing to distance herself from them, in order to think about their meanings. By doing so, she gains a new role, becoming an archaeologist of the narrative.

Traduction : Solal Bordenave

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Tiphaine Calmettes
Hors Pistes