A l’origine de l’exposition « Ok kid, you got the job »1 de Christophe Herreros présentée à l’espace Glassbox se trouve une vidéo2 glanée, par hasard, sur YouTube au cours des nombreuses heures de recherche que l’artiste y passe. « Ok kid, you got the job ». Cette phrase prononcée par une voix hors-champ sonne comme une délivrance pour le jeune Henry Thomas qui incarnera ensuite le personnage d’Elliott dans le film de Steven Spielberg E.T. l’extra-terrestre (1982). Extraite des séances de casting, cette vidéo est aussi, au sens de Christophe Herreros, un résumé du futur film qui condense le souvenir que l’artiste en garde, tant la performance du jeune acteur semble contenir la même réflexion sur l’enfance et l’amitié que le film à venir. De cette vidéo qui donne son titre à l’exposition mais n’y est pas présentée, l’idée est venue de travailler sur ce temps de l’audition. Un casting est un moment en cela spécial qu’il est déjà un temps du film – l’acteur y interprète les dialogues et donne vie pour la première fois aux personnages. C’est un espace-temps à part, fait de contraintes matérielles et psychiques que l’artiste se plaît à dévoiler, et qui peut, parfois, donner naissance à de véritables moments de grâce.
Le visiteur découvre deux univers bien définis dans le lieu d’exposition. D’une part, un espace que l’artiste appelle « télévisuel » dans lequel une vidéo, dont le titre est encore à venir, est diffusée sur un écran plat fixé au mur, presque domestique, face auquel le spectateur peut s’asseoir. De l’autre côté de la cimaise qui les sépare, le spectateur entre dans un espace de travail où sont installés deux moniteurs Sony PVM généralement utilisés comme écrans de retour dans l’audiovisuel en général, et pendant les séances de castings en particulier. L’artiste y montre à dessein une vidéo composée de certains rushs des auditions. Cette installation, épurée, est complétée par une petite photographie modestement encadrée et négligemment posée à côté de l’un des moniteurs, comme oubliée. Celle-ci contient pourtant une des clés de lecture de l’exposition.
Une jeune femme brune, vêtue d’un haut à carreaux émerge dans un halo lumineux d’un fond uni rouge-orangé.
Trouvée, elle aussi, sur Internet3, cette mystérieuse image est en fait une photographie de casting de l’actrice Mariska Hargitay, aujourd’hui connue pour son rôle dans la série policière New York, Unité Spéciale, à l’âge de 17 ans.
A partir de ces deux éléments glanés sur la toile, l’artiste a construit le projet pour sa résidence d’été à l’espace Glassbox. Prenant le moment du casting comme point de départ à sa réflexion, il a ensuite choisi de réaliser un film qui place l’espace et le temps de la résidence au centre, du recrutement des acteurs à la projection. L’artiste a d’abord lancé un appel à candidature par le biais d’une petite annonce publiée sur des sites de casting spécialisés et repeint un mur de la galerie en rouge-orangé. Il a repris cette même couleur précisément qui met en valeur le visage encore adolescent de Mariska Hargitay sur la photographie et en a fait, comme un clin d’œil au fond vert ou bleu nécessaire à l’incrustation d’effets spéciaux, l’arrière-plan des auditions. Deux œuvres vidéo au statut bien distinct sont le fruit de cette résidence. D’une part, les rushs5 du casting montés par l’artiste comme un film mais présentés sur des moniteurs de travail et, d’autre part le film, Titre à venir. Celui-ci passe au premier abord pour un extrait de série policière, un simple dialogue entre deux flics dans le hall d’un commissariat devant une jeune réceptionniste qui, à l’instar du spectateur, cherche à percer le sens de leur échange.
Présentée en boucle dont les cycles sont entrecoupés par quelques pauses où l’on retrouve ce même rouge-orangé en écran fixe, la vidéo se laisse progressivement lire comme une intrigue amoureuse qui émerge peu à peu de la surface des évidences et des dialogues trop lisses.
La lecture qu’on peut en faire évolue au fil des visionnages et s’ils contiennent littéralement une discussion sur la perception des couleurs (la Mercedes est-elle jaune ou blanche ?), c’est aussi une démonstration sur la plasticité du langage et de sa perception comme un écho au propos sur les couleurs.
Révéler le dispositif pour décrypter les différents mécanismes de perception, tel semble être le but de Christophe Herreros qui dévoile d’un côté les artifices d’une séance de casting et, de l’autre, les codes de construction d’un genre cinématographique, le film policier. Dans la vidéo Ok kid, you got the job, présentée sur les deux moniteurs de contrôle, différents éléments apparaissent petit à petit dans le champ : un ventilateur qui rythme l’espace, un projecteur froid pour seule lumière, quelques câbles noirs suspendus, des scénarios échangés et, au milieu de tout cela, des acteurs qui se concentrent et que l’on voit passer par différents états psychologiques jusqu’à ce qu’ils se sentent enfin prêts à jouer. Et c’est précisément au moment où l’acteur commence à parler que l’image est coupée. Au spectateur alors de basculer son regard vers l’autre film, de l’autre côté de l’espace, pour trouver des bribes de réponses. Ce film dont on se demande s’il pourra avoir un jour avoir un titre définitif tant il semble prisonnier de cet entre-deux, de cette boucle sans fin.
La création d’un film est au cœur du travail de Christophe Herreros. Cherchant tant à dévoiler les ficelles de fabrication qu’à se jouer des codes propres aux grands genres cinématographique (le film historique, le road movie, le film policier…), il mène une réflexion sur la manière dont on peut tromper le regard du spectateur.
Par quelle astuce le film transforme-t-il le hall de la Cité Internationale des Arts en commissariat de police ?
L’artiste fait appel à l’ensemble des références visuelles (montage, cadrage, costumes…) que porte en lui le spectateur et joue de la bande son (des bruits de pas, une sirène qui retentit, une voiture qui démarre en trombe, un téléphone qui sonne) et de quelques éléments clés (le polo bleu de la réceptionniste, le halo bleuté d’un gyrophare) pour construire un environnement familier, celui des séries policières. La musique, enfin, qui n’apparaît qu’à la fin de l’extrait a été commandée spécialement pour cette œuvre et évoquer le générique de fin d’un épisode de série.
Les films de Christophe Herreros, linéaires au premier regard, contiennent toujours un décalage qui fait glisser le regard du simple spectateur en enquêteur cherchant peu à peu à percer l’énigme que contiennent les dialogues. Réflexions sur la fiction de la fiction, la vidéo Titre à venir porte en elle un autre film en devenir que la jeune réceptionniste semble voir se dérouler devant elle, celui d’un ménage à trois, topos d’un autre genre cinématographique, la comédie romantique. Ce sera peut-être Des fleurs pour Angélique.
1 « Ok kid, you got the job », Christophe Herreros, présentée à l’espace Glassbox du 17 septembre 2015 au 10 octobre 2015.
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3 http://mariskahargitayhairstyles.blogspot.fr/2012/05/mariska-hargitay-hot-pictures.html