« Une célèbre enquête […] suggérait une typologie imagée des parcours des visiteurs au sein des expositions. Certains visiteurs y étaient qualifié de fourmis (allant voir patiemment tous les objets un par un et dans l’ordre), d’autres de papillon, (sautant d’un mur à l’autre, en effectuant des retours en arrière), de sauterelles (« sautant » par-dessus des sections entières d’une exposition), voire de poissons (filant à travers l’exposition sans s’arrêter). »

Jérôme Glicenstein, 2009.

Chers lecteurs, chères lectrices, amateurs éclairés — ou non — d’art le plus contemporain, quel animal sommeillait en vous, à l’occasion de la 68ème édition de Jeune Création ?

Poisson d’eau douce bouillonnant de chaleur sous la fine verrière du Palais des Études des Beaux-Arts de Paris, si vous avez filé trop rapidement entre les œuvres, auriez-vous loupé la vidéo de Paul Heintz cachée dans les recoins des couloirs conduisant à l’Amphi d’Honneur ? Avez-vous repéré les petits objets d’Eunbi Cho disséminés derrière les cimaises, ou la fourchette plantée par Benedetto Bufalino dans une prise électrique ? Si au contraire, vous vous êtes exercé au rude exercice de tout voir, de tout entendre et de tout lire, petite fourmi sage et pleine de bonne volonté, qu’en avez-vous retenu ? Pourriez-vous enfin nous dire si le sweat noir délaissé en haut d’une palissade faisait bien partie d’une œuvre ? Peut-être celle de Nicolas Müller, complétant la constellation de pièces de monnaies collées au sol et le cartel retourné ? Quant aux papillons et aux sauterelles, j’espère que ni vos pattes ni vos ailes ne se sont heurtées trop violemment aux pièges scénographiques. L’envers du décor est quelques fois assommant.

Le jour du vernissage, j’ai pour ma part croisé un certain nombre d’oiseaux de proie. Ces aigles et ces faucons planaient dans l’espace, balayant d’un seul regard l’entière exposition. Je les appelle les oiseaux de proies en ce qu’ils sont réputés pour voir bien et loin — quoi que leur mission s’apparente parfois à de la chasse. Vous l’aurez compris, il s’agissait des membres des jurys. En effet, lors de cette édition, 34 prix étaient remis aux 38 artistes présentés. Comme le faisait remarquer mon ami martin-pêcheur, très heureux de cette nouvelle : à ce compte-là, pourquoi ne pas décerner un prix à chacun des artistes exposés ? J’ai pu m’entretenir avec un aigle poétique, professant l’Immanence de l’art dans la vie. Celui-ci m’avouait que pour choisir le lauréat et décerner son prix — ici une résidence —, il était plus sensible à la personnalité de l’artiste qu’à son œuvre.

Jeune Création 68, Beaux-Arts Paris, 2018 ©Damien Caccia & Ines Haym-Domange

Jeune Création 68, peinture de Thomas Auriol, Beaux-Arts Paris, 2018 ©Damien Caccia & Ines Haym-Domange

Personnellement, pour visiter Jeune Création, j’ai du me transformer en chacune de ces bébêtes avant de finir en créature hybride, mi-humaine, mi-caméléon. J’entends par là que l’être humain est un animal social. Aussi, je crains que pour pour me faire mon propre avis de l’exposition je dû, je l’admets, entendre celui des autres. C’est en cela peut-être, chers lecteurs et lectrices, que nous nous ressemblons.

Figurez-vous que le jour du vernissage, les échos des visiteurs interrogés sur l’exposition furent absolument tous négatifs, l’argument commun étant : « il y a vraiment beaucoup trop de gens ». Trop de gens pour prendre le temps de discuter vraiment avec des artistes. Trop de mouvements, peut-être, pour opérer une rencontre telle qu’elle se joue dans le travail de Valentin Muller. J’ose seulement espérer que personne n’avait contraint quiconque de venir ce jour-là. J’ose aussi espérer que ce public désemparé a pu se rendre, une seconde fois à l’exposition, ne serait-ce que pour entendre avec discernement la très étonnante partition musicale que Charlie Aubry a composé pour ses objets. Sinon c’est raté, car aucune de ses compositions n’est archivée.

Enfin, pour ne pas répéter sans le savoir les traditionnelles critiques de Jeune Création, je m’en suis remise aux comptes-rendus des précédentes éditions. L’année dernière, Maxence Alcalde émettait deux remarques. La première portait sur les textes de médiation, « souvent creux et potentiellement interchangeables […] qui n’expliquent rien ni de la démarche des artistes, ni des pièces présentées. [Cela] devient vraiment dommageable dès lors qu’on présente de jeunes artistes peu connus et pour qui tout le travail de médiation reste à faire. ». Sa deuxième remarque portait sur la mise en espace : « Reste que dans l’ensemble la scénographie est élégante (et évite surtout l’effet ‘box de foire’ ou ‘expo des diplômés’ comme cela était le cas à Montrouge)». Il semblerait que l’équipe de Jeune Création ait si bien intégré les précédents commentaires, que cette année, c’est tout l’inverse qui s’est opéré. Les textes de médiation, s’ils existaient, n’étaient pas visibles. Quant à la scénographie, pour le coup, elle prédominait largement dans l’exposition, prenant trop souvent le pas sur les œuvres elles-mêmes.

Avec ma camarade Ana Bordenave qui m’a invité à écrire cet article — et en bonnes élèves— nous avons profité de l’événement pour rencontrer un certain nombre d’artistes et de visiteurs. Au regard de l’intensité du vernissage, il semble difficile à croire que nous ayons réussi, et pourtant ! Le podcast ci-dessous en témoigne. Néanmoins, il semble évident que les vraies rencontres ne pourraient naître que dans un nouvel espace, un espace ouvert qui reste encore à inventer.

Un texte de Marie Brines

Une vidéo de Damien Caccia et Ines Haym-Domange

Montage son par Ana Bordenave

Et nos remerciements à Carmen Blin, Benedetto Bufalino, Valentin Müller, Charlie Aubry et Léonard Martin pour nos heureux échanges, Célia Coëtte, Martin Monchicourt et ces visiteurs anonymes qui nous ont laissé capturer leurs voix.