Les œuvres de Linda Sanchez découlent d’une observation fine du réel. Partant de choses qui existent déjà — la liquidité du sable, la géométrie d’un grillage, la souplesse d’un liant —, elle construit un univers dans lequel l’expérience phénoménologique est fondamentale. Les propriétés physiques des matériaux sont souvent à l’origine d’une recherche sur leurs mécaniques, leurs résistances ou leurs fragilités.
L’Autre (2017), paysage de colonnes à l’aspect de ruine, présenté lors de l’exposition des artistes nommés pour la bourse Révélations Emerige, ne tient pas d’une imitation de surface ou de l’envie d’imiter du marbre. Il montre une compréhension des accidents métamorphiques de la pierre — veines, coloris, aspérités, friabilité. La forme reconstituée devient l’occasion de mesurer l’impermanence de la matière. En reproduisant plusieurs fois les mêmes gestes pour tenter de refaire les colonnes à l’identique, l’artiste met son travail à l’épreuve de l’altérabilité. Rien de plus logique que de tester leur reproductibilité pour apprécier cet Autre, comme le titre de l’œuvre le souligne — autre qui ne peut jamais être totalement le même. Un geste similaire ne donne jamais les mêmes effets, tout comme un phénomène qui se répète n’est jamais strictement identique. Ayant intégré le « retour aux choses mêmes » cher à la phénoménologie, Linda Sanchez fait de l’expérience de l’objet, avant l’objet lui-même, le cœur de ses recherches.
Tout en observation, elle invente des systèmes d’enregistrement ou de capture des matériaux et de leurs mouvements. Ses dispositifs et outils ne sont faits que pour contraindre ce qui par nature ne fait que s’échapper, couler, glisser, fuir ou s’effondrer…
L’artiste ne se situe pas essentiellement dans une logique de contemplation vis-à- vis des éléments. C’est souvent la rencontre de deux qualités de matériaux qu’elle cherche à déterminer.
Offrir des surfaces de confrontation — un point de friction qui pourrait créer un autre type de structure. Dans Tissu de sable (2006), la colle néoprène et le sable, dont la rencontre est peu probable, finissent pas s’associer presque naturellement pour créer une troisième matière. Allant d’outils en systèmes de mesure, une mesure qui n’appartiendrait qu’à elle, Linda Sanchez explore donc aussi le structural. Pour Sans titre (2016), elle reproduit le glissement de la pluie tombant sur un grillage à la maille en losange. Les gouttes suivent la géométrie de la trame produisant un rythme visuel ; leur mouvement révèle la régularité et la répétition du support, ces dernières sont aussi ce qui le génère. Plutôt que de point de friction, il est ici question de point nodal. Cet intérêt pour les formes géométriques et les surfaces ajourées est aussi tangible dans son travail avec les toiles d’araignées dont les architectures (dessins et tensions) sont entrelacées. La mesure du mouvement induit aussi un rapport à la durée, à la temporalité qui s’exprime parfaitement dans 11 752 mètres et des poussières… (2014), un film de 71 minutes dans lequel un plan-séquence suit la progression d’une goutte d’eau sur une surface plane. Quelques accidents là encore, des mouches, des cheveux, qui pourraient éclater la goutte, en disperser l’eau qui la compose. Pourtant l’artiste parvient par un tour de force à lui faire poursuivre son chemin, de façon inéluctable. Avec des éléments simples, le suspens se crée et on se surprend à être hypnotisé par le mouvement d’une simple goutte d’eau.
C’est dans la rigueur du geste que se mesure le travail de Linda Sanchez, dans les processus qu’elle répète dans son atelier avant de trouver le dispositif qui exprimera au mieux la réactivité d’un matériau. Dans ce cadre, elle donne libre cours à toutes ses expérimentations sur l’accident, la chute, la cassure… Le dispositif qui en est issu — toujours discret, inapparent même — ne supplante toutefois jamais le résultat final.
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Linda Sanchez
La bourse Révélations Emerige
Cet article est réalisé en partenariat avec Emerige Mécénat