Dans la pensée Sauvage, Levi-Strauss définit le bricolage comme la forme typique d’une conscience mythique première, archétypale, une invention transversale élaborée par astuce. Le bricoleur se situe entre l’ingénieur et le démiurge, il serait capable de créer des solutions à partir des éléments qui lui sont donnés, les moyens du bord, « une collection de résidus d’ouvrages humains »2. Il procèderait inlassablement à l’inventaire d’un ensemble hétéroclite d’outils et de matériaux déjà constitués. Il les réorganise et les reconstruit.
Dans le panorama de l’art contemporain Européen, ce concept semble trouver une nouvelle actualité. En réponse à la réalité urbaine post-moderne, les artistes de la nouvelle génération abandonnent progressivement la démarche conceptuelle pour se tourner vers un travail manuel d’objets trouvés : matières symboliques du contexte physique et socio-politique qui les entourent. C’est le cas des artistes réunis autour du Wonder Liebert, l’artist-run-space qui occupe d’anciens bureaux de la ville de Bagnolet. Ils y vivent en communauté en réinventant le système de l’art contemporain, de plus en plus indépendants des galeries et des espaces d’exposition institutionnels. Le parking du Wonder devient ainsi la scène de nouveaux rituels mécanisés, telles les performances de Pierre Gaignard, comme Bagnolet Chamanique 4K (2018), liturgie urbaine et bachique dont on retrouve les traces dans les sculptures exposées actuellement aux Magasins Généraux de Pantin.
Ses créations se nourrissent des matériaux typiques de la production industrielle. Dans une ère ou l’usage unique règne en maître, Pierre Gaignard cultive la pratique du Do It Yourself. Au même titre qu’un artisan, à contre-courant de l’obsolescence programmée. Il bricole, soude, démonte et assemble. À travers une esthétique qui va du rétro-futurisme au neo-brutalisme, il réinvestit la culture du football, du tunning, des clips de rap, mais aussi des traditions paysannes, en nous offrant une analyse anthropologique du monde contemporain et de ses changements.
Face au développement technologique et au processus de gentrification, quelle place pour le traditions et les mythes? Cette interrogation mène l’artiste à s’intéresser au folklore des Abruzzes en Italie, ou aux Championnats Internationaux de Chili con carne de Terlingua, ville perdue au milieu du désert du Texas, jusqu’à faire des ses performances de véritables danses ésotériques. Il reste de tout cela une trace sculptée. Tout revient inexorablement à la matière, comme dans Baba Yaga Data (2016), ogre métallique prenant le nom d’une sorcière.
Dans l’œuvre-bricolage de Pierre Gaignard le sacré se cache dans la pop-culture. On y prie les dieux du Football et du Rap.
Cette structure désossée, rouillée aux soudures apparentes pourrait sortir tout droit d’un film de science-fiction aux effets spéciaux ratés. Pierre définit cette pièce comme «une vidéo déguisée en sculpture », l’œuvre résulte d’un projet de film débuté en 2016 et jamais finalisé, portant sur un match de football entre l’équipe de Aire-sur-Lys, un des plus petits clubs français, et l’Olympique Lyonnais, champion de France de l’époque. Les rushes du film ont été conservés et archivés. Les images sont diffusées aléatoirement sur les différents écrans de la sculpture. Une oeuvre qui serait destinée aux générations futures, comme une capsule temporelle hybride. Dans l’œuvre-bricolage de Pierre Gaignard le sacré se cache dans la pop-culture. On y prie les dieux du Football et du Rap.
1 Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, 1962, Paris, Plon éditeur
2 Ibid
Plus d’informations
– 1 rue de l’Ancien canal, 93500 Pantin – jusqu’au 5 août 2018. Par amour du jeu, groupe show,
commissariat de Anna Labouze et Keimis Henni.