À Rennes, la biennale introduit le mois d’octobre. Pour ses dix ans, l’événement dédié à l’exploration des liens entre art et économie n’est pas pingre quant au nombre de thèmes abordés : féminisme et genre, écologie, identités et croisements culturels… Avec l’envie de regrouper des artistes agissant dans « les fissures des systèmes régissant nos sociétés contemporaines ». Ce sera donc politique ?

Étienne Bernard et Céline Kopp, co-commissaires des Ateliers de Rennes, n’ont en tout cas pas souhaité figer de thématiques, en préférant une nouvelle approche du métier privilégiant le dialogue. Un nouveau management participatif du commissariat d’exposition, incluant chaque collaborateur et collaboratrice, des artistes aux lieux, du début à la fin de la chaine de diffusion pour « co-construire une nouvelle grammaire », nous dit-on, changer le produit.

En arrivant dans la halle de la Courrouze, l’accrochage est magnifié par la lumière zénithale. On y retrouve déjà les thèmes qui traversent toute la programmation, et la scénographie met en perspective les dialogues forts entre artistes, cultures et générations. On y retrouve entre autres Julie Béna, Jesse Darling, Anne Le Troter, Richard Barquié, Kenzi Shiokawa.

Julien Creuzet, (...) Me sens tu par terre, petit jeux, cheveux dans la poussière. ... , 2018, Courtesy de l’artiste Production Les Ateliers de Rennes. Halle de la Courrouze ©Chloé Cortella

Julien Creuzet, (…) Me sens tu par terre, petit jeux, cheveux dans la poussière. … , 2018, Courtesy de l’artiste Production Les Ateliers de Rennes. Halle de la Courrouze ©Chloé Cortella

Le lieu et les œuvres font écho à une histoire sociale et industrielle dont la matière garderait une mémoire réinvestie par les œuvres. Une nouvelle installation de Julien Creuzet, réalisée pour l’occasion, nous introduit dans une narration déconstruite et colorée. L’image pixélisée qu’il choisit confond les sujets qu’elle représente dans sa matérialité, et semble vouloir faire corps commun avec les éléments plastiques et naturel de l’installation. Avec Mnemosyne (2010) de John Alkomfrat, l’enchevêtrement de temporalités et de géographies nous plonge entre histoire sociale et sensibilité personnelle de l’immigration au Royaume-Unis. Ici, l’image est plus ouvertement politique. À l’écran, le montage alterné rapproche des images d’archives et des plan de montagnes enneigées, supperpose des époques, brisent les frontières entre le sujet et son environnement, entre le particulier et le collectif, traversant un paysage à la fois témoin et aux formes atemporelles. Ensemble les sensibilités individuelles transmettent des récits collectifs.

Cette matière-mémoire réinvestie, c’est aussi celle des corps. Paul Maheke à la Galerie Art & Essai continu sa réflexion sur le corps-archive avec l’exposition-installation Dans l’éther, là, ou l’eau (2018) et la performance I took everything and made it my own (the gost is an appropriationist) (2018). Chez l’artiste le sujet se perçoit comme lieu et histoire, point d’arrivée d’une mémoire commune et point de départ pour une transmission-gestuelle. Ici, on se laisse plonger calmement dans la couleur, un univers de draps, un abri de chair, au sol et sur les murs les cosmogonies qui se dessinent nous évoquent les mythes de la naissance céleste de l’humanité.

Les mouvements des performeuses surgissent doucement des contours de cette habitation, si près de nous, leurs subjectivités se confondent avec les matériaux. Cela parle des fantômes qui nous habitent et que nous habitons, résident-e-s, étranger-e-s, ou invité-e-s. Cet investissement du corps n’est pas dissociable d’une réflexion sur la formation de son identité sociale, déconstruisant les normes de genre et de culture. Une réflexion que l’on retrouve dans d’autres lieux, entre autres à travers le travail de Pauline Boudry et Renate Lorenz dont le film I want (2015) est projeté à 40mcube, mais aussi chez Senga Nengudi, artiste américaine noire dont le majeure dont le travail des années 1970-1980 est à (re)découvrir au Frac Bretagne.

Paul Maheke, Dans l’éther, là, ou l’eau, 2018. Galerie Art &Essai ©Chloé Cortella

Paul Maheke, Dans l’éther, là, ou l’eau, 2018. Galerie Art & Essai ©Chloé Cortella

Paul Maheke, Dans l’éther, là, ou l’eau, 2018. Galerie Art & Essai ©Chloé Cortella

Au-delà du corps, l’histoire culturelle est également importante pour les artistes de cette biennale. On retrouve cela chez Kenzi Shiokawa au musée des Beaux Arts, ainsi que Katia Kameli au Phakt qui continue son projet Stream of Stories sur la circulation des contes d’un langage et d’une sphère culturelle à l’autre. Meriem Bennani l’investit également à La Criée, centre d’art contemporain, où l’artiste remplit l’espace d’écrans pour l’installation de Siham & Hafida (2017). C’est une histoire de rencontre entre deux générations, deux chanteuses de Aïta, musique traditionnelle anticoloniale. Elles ne se comprennent pas, et tout en découvrant les différences de point de vue, on découvre cette musique avec plaisir. Entre documentaire expérimental et cinéma élargi, la pièce se surcharge d’images, plusieurs fois déformées, augmentées d’effets numériques, décomposant la narration et son système frontal. Une façon de brouiller l’anecdote dans la fiction ? La traduire dans le langage actuel surchargé des outils numériques ?

Corps à l’image, écologie et industrie, immigration et histoire culturelle, féminisme et identité de genre… Les questionnements abordés semblent peut-être trop familiers, dans l’air du temps de ces dernières années. Peut-être. Mais le regroupement de ces thématiques est réalisé avec justesse, évitant les raccourcis essentialistes ou autoritaires. Ainsi, elle prend acte d’un courant générationnel en pleine maturité, un nouveau langage du sujet peut-être, donnant une place centrale à la mémoire ? Un langage propre à notre génération politique et numérique nourrit par les gender studies et les cultural studies ?

Meriem Bennani, Siham&Hafida, 2018, Courtesy de l’artiste et SIGNAL, New York Coproduction Fondation d’Entreprise Ricard, Stanley Picker Gallery, La Criée centre d’art contemporain et Les Ateliers de Rennes. La Criée ©Chloé Cortella

Kenzi Shiokava, Untitled, 1970, Collection Gavin & MacKenzie Stevens. Halle de la Courrouze ©Chloé Cortella

Kenzi Shiokava, Untitled, 1970, Collection Gavin & MacKenzie Stevens. Halle de la Courrouze ©Chloé Cortella

Jean-Charles de Quillacq, Blue-Jean, 2018, Collection Frac Limousin, Limoges Avec le soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture. Frac Bretagne ©Chloé Cortella

Jean-Charles de Quillacq, Blue-Jean, 2018, Collection Frac Limousin, Limoges Avec le soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture. Frac Bretagne ©Chloé Cortella

Basim Magdy, 2018, Courtesy de l’artiste ; Gypsum Gallery, Le Caire ; artSümer, Istanbul Avec le soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture. Musée des Beaux-Arts de Rennes ©Chloé Cortella

Basim Magdy, 2018, Courtesy de l’artiste ; Gypsum Gallery, Le Caire ; artSümer, Istanbul Avec le soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture. Musée des Beaux-Arts de Rennes ©Chloé Cortella

Basim Magdy, 2018, Courtesy de l’artiste ; Gypsum Gallery, Le Caire ; artSümer, Istanbul Avec le soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture. Musée des Beaux-Arts de Rennes ©Chloé Cortella

Basim Magdy, 2018, Courtesy de l’artiste ; Gypsum Gallery, Le Caire ; artSümer, Istanbul Avec le soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture. Musée des Beaux-Arts de Rennes ©Chloé Cortella

Kenzi Shiokava, 1970. Musée des Beaux-Arts de Rennes ©Chloé Cortella

Kenzi Shiokava, 1970. Musée des Beaux-Arts de Rennes ©Chloé Cortella

Kenzi Shiokava,1970. Halle de la Courrouze ©Chloé Cortella

Kenzi Shiokava,1970. Halle de la Courrouze ©Chloé Cortella

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