Une visite de l’atelier de la plasticienne Amandine Arcelli par l’écrivain Patrice Blouin et le photographe Salim Santa Lucia.


Groupe sanguin : PVC. Nous sommes des animaux industriels. Nos peaux de mouton sont en laine de roche. Nos ailes de mouche en cuir d’abat-jour. Bien avant notre naissance notre manière première est préformée dans des hangars d’usine. Nos cellules souches sont fabriquées à la chaîne. Et quand les hauts fourneaux s’écroulent, ou tombent à l’arrêt, notre ossature est façonnée au tour à bois. Nos tibias de rechange, nos péronés, sont des barreaux de chaise.

Terre et laiton. Nous poussons comme des plantes. Comme des moisissures sur le mur. Tuyau coudé de cuivre. Paillasson à pigments. Double langue symétrique sans bouche autour. Et nous restons là accrochés comme des tiques en attendant que passe le bon support. L’organisme vivant, complémentaire, qui va nous transporter ailleurs. Ce n’est vraiment que lorsque l’on a trouvé son binôme structurel, son partner symbiotique, que l’on peut commencer à envisager l’avenir.

Flotteur et filasse. Nous sommes des manteaux-carapaces. Nos pores alvéolés bâtissent des murs de miel. Par derrière la fragilité dort cachée. Suspendue à des filins. Nous nous établissons en bande dans les forêts. Nous paissons dans les prairies. Quand les spectateurs s’approchent de nous la nuit, comme des chasseurs, nous les sentons venir de loin. Nos poils se hérissent. Ils se dressent comme des sertflex. Une fois capturés vivants, on nous parque pour de bon dans des espaces d’exposition.

Répétez : caoutchouc. Nous sommes des phonèmes mystiques intraduisibles dans votre langue. Nos noms de baptême vous restent à jamais hermétiques. Étrangers à votre alphabet. Vous ne pouvez que les transmettre de bouche à bouche. Comme du sable humide coulant de main en main. Si vous essayez de faire sécher notre matière sonore, de l’accrocher tendue à vos systèmes de notation, elle perd tout son charme et son efficace. Pour exister nos titres doivent être prononcés à haute voix. C’est magique.

Cornes en mousse de vache sacrée. Nous sommes des dieux hindous. Pris dans le mortier. Teintés dans la masse. Le matin on nous emmaillote serrés dans les voiles et les tissus. Le soir on nous déshabille pour nous laver les pieds dans les eaux du Gange. Le soleil descend sur la jungle acrylique comme un cercle brûlant de tôle ondulée. Et quand on tend l’oreille on entend parfois le son du sitar. Ou le chant du styrène.

photo Salim Santa Luciaphoto Salim Santa Luciaphoto Salim Santa Luciaphoto Salim Santa Luciaphoto Salim Santa Luciaphoto Salim Santa Lucia


Patrice Blouin est écrivain, critique et professeur à l’ENSA Limoges.

Salim Santa Lucia photographie l’art et les artistes d’aujourd’hui : il réalise des reportages d’ateliers, des portraits ainsi que des prises de vues de performances et d’expositions.