Hoël Duret élabore des fictions. D’une exposition à une autre, l’histoire serpente, s’écrit, se poursuit. Au Bonnevalle, centre d’art nouvellement ouvert à Noisy-le-Sec par Loïc Le Gall, quatre pièces de l’artiste sont déployées dans l’espace et se lisent tels des reliquats d’un premier temps d’exposition.
Too Dumb to fail, présentée en hiver 2018 à la galerie Édouard Manet, centre d’art contemporain de Gennevilliers, nous plongeait dans l’univers absurde et décalé du dernier scénario imaginé par l’artiste. Il s’agissait d’une première occurrence d’un projet n’ayant pas encore de titre définitif. Hoël Duret nous invitait à prendre part à un voyage physique et mental. Nous suivions les mésaventures d’un journaliste dénommé Harvey alors embarqué sur le paquebot MS Lagoon. L’exposition accueillait sept écrans HD révélant les portraits animés d’un personnel de bord mal au point. Dénué d’air climatisé, le bateau était en pleine perdition. Plusieurs éléments sculpturaux se trouvaient également exposés ; une évocation de l’intérieur de ce navire.
Cette histoire visuelle s’incorpore à une nouvelle page spatiale au Bonnevalle. L’attention est cette fois-ci portée sur un personnage secondaire : le capitaine Peterson. Dépassé le pas de la porte, nous faisons face au visage à demi animé de ce dernier. Luisant et au regard fixant, il est à la fois troublant et troublé. Pourtant virtuel, l’homme reste omniprésent dans la pièce. Affublé d’un maquillage réalisé pour le tournage, le visage de ce capitaine est révélateur de la chaleur cuisante qui règne. L’étrangeté excentrique de son portrait tient à une mise en lumière particulière, non sans évoquer l’atmosphère électrique d’une boîte de nuit déjantée. Hoël Duret entreprend ici ce qu’Henri-Georges Clouzot recherchait pour son film inachevé L’Enfer, à une époque où les effets spéciaux numériques – en post-production – n’existaient pas. Pour mieux transformer la réalité cinématographiquement, le réalisateur français avait incité son chef opérateur à la visite d’expositions d’art cinétique. Cette démarche prospective était liée à une réflexion sur la fabrication de boîtes noires à lumières, permettant de produire des effets similaires à ceux produits par des œuvres d’art cinétiques.
Plusieurs éléments sculpturaux sont également présentés au sol, aux murs. Ils renvoient à l’abandon de serviettes de bain. Un « tuyau qui vomit », pour reprendre les termes de l’artiste, rejoue un vocabulaire formel emprunté à l’École de Nancy. Ce vocabulaire a d’ailleurs été usité pour la décoration de paquebots dans les années 1920 – 1930. Chez Hoël Duret, nombreuses sont les références au design. Son projet La Vie héroïque de B.S en est un autre exemple. Il s’agit d’un opéra vidéo, en trois actes, filmé à l’occasion de trois expositions distinctes. Le design moderniste y était revisité. Les œuvres exposées constituaient un décor et l’exposition devenait un plateau de tournage.
Au Bonnevalle, les pièces plastiques deviennent les épaves d’un temps révolu. Utilisées ici en petit nombre, elles sont la trace d’une histoire démantelée qui se réactive en différentes formes et au gré d’expositions. De manière générale chez l’artiste, et pour ce projet en particulier, l’exposition semble être envisagée telle une méthode de travail faite de rebonds et de sinuosités. Ces sculptures se métamorphosent en un décor exposé, faussement prélevé d’un film dans lequel elles ne figurent pas. À la galerie Édouard Manet de Gennevilliers, un extrait de ce film était présenté. L’artiste souhaite brouiller les pistes et déjouer une forme de linéarité de la narration. Pour Hoël Duret, l’écrivain américain David Foster Wallace, et collaborateur de David Lynch pour sa série Twin Peaks, est un modèle de réflexion. Ses personnages, tels des pantins, antihéros, sont placés dans des contextes épars.
L’espace d’exposition devient cette nouvelle scène où l’intrigue spatiale refuse toute cohérence linéaire. Les résurgences d’un théâtre de l’absurde se dévoilent ici en filigrane.
Mise en scène, mise en espace, les deux semblent s’entremêler. L’artiste ne s’improvise pas metteur en scène, il est metteur en scène, pour un théâtre aux personnages virtuels. Si ces individus appartiennent à un espace virtuel dans l’exposition – celui de l’écran HD – à la vie, ils sont comédiens de théâtre. L’artiste a pour habitude de travailler avec des professionnels du spectacle vivant. Une collaboration avec le chorégraphe Nicolas Paul, membre de l’Académie de l’Opéra national de Paris, lui a d’ailleurs permis de s’immiscer au cœur du ballet classique. C’était en 2016, à l’occasion d’une résidence au Pavillon, le laboratoire de création du Palais de Tokyo.
Nous voici les témoins d’un théâtre visuel et plastique dont l’atmosphère et l’absurde pourraient faire penser au travail du metteur en scène Philippe Quesne, ainsi qu’à toute une facette du théâtre contemporain – ce théâtre d’images où la parole de l’acteur n’est qu’un élément parmi d’autres. Un théâtre qui tend à dissoudre ce qui le sépare des arts plastiques ou du cinéma, un théâtre réceptacle d’intermédialités et de nouvelles possibilités. Ici, au Bonnevalle, la scène et les spectateurs et spectatrices ne sont pas retenus par une frontière invisible et protocolaire. Ici, le spectateur pénètre la scène, vit le décor. Hoël Duret s’émancipe des capacités traditionnelles de l’espace d’exposition, devenu laboratoire de recherche, décor immersif, espace transitionnel, recueil d’indices.
Les péripéties du journaliste Harvey, et celles de ses camarades, se poursuivront peut-être à l’occasion d’une troisième occurrence. C’est à suivre.
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