Ken Sortais est un jeune artiste Diplômé de l’École Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Il vit et travaille en Seine Saint Denis.
Dans son univers où se croisent démons et mythologie, l’artiste puise dans son quotidien l’énergie nécessaire à sa production artistique, employant de multiples références allant des livres de John Fante au cinéma de John Carpenter ou de Stanley Kubrick, en passant par les abstractions cartoonesques des années 30 et le graffiti. Une œuvre imprégnée de symboles et d’ésotérisme, et autant de questions sur la nature humaine, la mort et les croyances.
Comme un psychanalyste aliéné, l’artiste creuse introspéctivement au plus profond de notre condition, usant d’un savant mélange de culture populaire, de matières subliminales et de mystères. Entre magie et fantaisie lugubre, Ken Sortais nous plonge dans un macrocosme hanté par la conviction que le réel est une illusion. A l’occasion de sa première exposition personnelle à la galerie Celal, rencontre avec cet alchimiste moderne.
Peux-tu nous présenter le concept de ton exposition présentée à la Galerie Celal et de son titre énigmatique “les pérégrinations de SI Atroce” ?
Le fil conducteur de cette exposition est un cinéaste magicien Italien, Dario Argento. Dans “INFERNO”, cauchemar métaphysique datant de 1980 et film second de sa trilogie “des trois mères”, Argento embarque le spectateur dans une danse lyrique et macabre injectant tous son génie expérimental dans la sublimation du meurtre et du morbide. Un enchaînement de séquences filmiques apparemment énigmatiques ponctue ce bijou d’anti-narration, où l’on ressent aisément chez le réalisateur la volonté d’introniser des mini-films dans le film, comme un prétexte à assouvir ses pulsions artistiques les plus fantasmagoriques. “ Les pérégrinations de Si Atroce” affichent ce même désir de déconstruction, dans un accrochage où chaque objet trouve son autonomie tout en générant une inter-résonnance nécessaire à la structure du tout. A l’image de la série de sculpture en argile “Hégémonie”, mes personnages complotent, grimacent, épient et agressent, le visiteur est absorbé par la mécanique d’aliénation qui se met en place, déstabilisé par l’inquiétante séduction qui émane des œuvres. Inquiétant comme la dernière série de gravures dessinée par Goya à la fin de sa vie, “les Disparates”, à partir de laquelle j’ai réalisé la série de 8 peintures présentée dans l’exposition, “Eloge de la déraison 1-8”. Une série imprégnée de mysticisme et peuplée de créatures effrayantes et monstrueuses, figurée dans des lieux difficilement identifiables renforçant le sentiment de perte de repères chez l’observateur. Le titre de l’exposition est abscons mais néanmoins décryptable, je garde le secret.
L’atmosphère créée par les pièces présentées et la scénographie nous amènent dans un cheminement complexe entre alchimie et chamanisme. Quel lien fais-tu entre ces thématiques?
L’alchimie et le chamanisme sont des pratiques qui se consacrent à la transformation d’un état tel qu’il soit, physique ou spirituel. Dans le symbolisme alchimique on retrouve cette formule qui distingue la doctrine : “Explore l’intérieur de la terre. En rectifiant, tu découvriras la pierre cachée”. (Traduction de “Visita interiora terrae rectificando invenies occultum lapidem”, soit V.I.T.R.I.O.L).
Ces initiales ont formé ce texte initiatique, qui exprime la loi d’un processus de transformation, concernant le retour de l’être au noyau le plus intime de la personne humaine. Ce qui revient à dire: descends au plus profond de toi-même et trouve le noyau insécable, sur lequel tu pourras bâtir une autre personnalité, un homme nouveau. On retrouve ce mode de pensée dans le chamanisme, notamment dans les phases de guérison. Par exemple, dans le documentaire de Jan Kounen “d’autres mondes”, l’auteur part à la rencontre des chamans péruviens et de leurs rites médicinaux entraînés par la liane des esprits, l’ayahuasca. Dans ces cérémonies, après une absorption très ritualisée de la plante, “le malade” est guidé par l’état de transe du chaman, toujours associé à un élément musical. Les aboutissements de cette expérience mystique sont nombreux mais ils confluent vers le même principe, s’extirper d’un mal qui ronge et accéder à une perception plus clairvoyante du moi profond. Comme en alchimie, il s’agit d’extraire la lumière de la matière ténébreuse.
Tu présentes quelques tableaux en latex, c’est une technique que tu as développé par toi-même ? Tu peux nous révéler une partie du secret ?
Effectivement, j’ai présenté une série de quatre “peintures”, constituées exclusivement de latex. Le résultat obtenu est la conclusion de laborieuses expérimentations en atelier pendant plusieurs mois. Je ne dévoilerai pas la technique que j’ai utilisée, cette série doit entretenir le mystère.
Idem pour la pâte à modeler que tu fabriques toi-même. L’idée de créer tes propres matériaux par des étapes de transformations rejoint ta fascination pour l’alchimie?
C’est une bonne observation. Les clés alchimiques disséminées dans l’exposition témoignent de mon intérêt pour cette pratique, mais également de ma fascination pour le travail de Dario Argento qui traite explicitement du sujet dans son film “Inferno”. L’alchimie est la science de la transformation, celle de la conscience de son opérateur comme de la matière même, une quête ultra-symbolique de vérité. La pratique se nourrit d’une parfaite connaissance de la nature mais aussi de mythologie, de religion et de philosophie. Récemment, j’ai découvert le livre de Fulcanelli “ Le mystère des cathédrales”, datant de 1926. L’auteur y expose le décryptage de la symbolique alchimique contenu dans l’architecture de monuments comme la cathédrale Notre-Dame de Paris. Je lis avec beaucoup de précaution et sans me presser, 2 ou 3 pages seulement dans la foulée tant la masse d’informations est dense et précieuse. A la galerie Celal, j’ai travaillé certaines œuvres dans un rapport presque charnel à la matière. Avec l’argile pour la série “Hégémonie”, et la pâte à modeler pour les sculptures sans titres en vitrine et pour “Soleil noir”. Je me suis intéressé à la phase de putréfaction dans le processus alchimique, que j’ai symbolisé avec la pâte à modeler et son altération à l’air pendant la période d’exposition. Effectivement, la putréfaction est la première étape de transformation de la matière, une phase de dissolution et de séparation de la substance. Ce stade est matérialisé par le noir et incarne la mort, l’extraction du vil nécessaire à la renaissance du corps. C’est ce sentiment que j’ai voulu traduire, les pièces réalisées en pâtes à modeler sont évolutives, leurs changements d’états tout au long de l’exposition modifie les champs d’interprétation de l’œuvre, transmutant tour à tour le sens d’origine.
Pour Victor Hugo, nous “n’avons que le choix du noir”. Cette obscurité est une source d’inspiration créatrice pour toi?
Comme je viens de le souligner, oui. Le noir est une couleur associée au mystère, profonde et ténébreuse. C’est aussi la base fondamentale du dessin que je pratique ardemment dans mon travail. Victor Hugo dans “Notre-Dame de Paris” fait référence à l’alchimie et à Nicolas Flamel, écrivain Français du 14ème siècle et figure emblématique de cette science. La légende dit que cet homme a trouvé la pierre cachée, symbole de sa fortune dont les origines restent mystérieuses.
Pour la troisième édition du Lasco Project dans les souterrains du Palais de Tokyo et dans le cadre de ton intervention avec Horfée pour la pièce “Biolensu”, tu présentes deux œuvres en plâtre où figurent des formes fantomatiques et abstraites sur fond noir, peux-tu nous en dire un peu plus?
Cette installation au Palais de Tokyo a été réalisée à quatre mains, comme la peinture murale. Nous avons travaillé dans un rapport étroit avec un film d’animation japonais, « Violence Jack », datant de 1986 et réalisé par Gô Nagai. Celui-ci décrit un univers post-apocalyptique dominé par la barbarie, un monde régi par la violence et les guerres de clans où le semblant de vie est rythmé par les meurtres et les viols. Dans ce chaos infernal, l’espoir renaît sous les traits d’un homme presque monstre, violence Jack.
Un mystérieux personnage, inexpressif, qui se range du côté des populations opprimées par des bourreaux à la férocité et au sadisme sans limites. Une violence extrême qui n’est pas sans rappeler le thème abordé par Stanley Kubrick dans « Orange mécanique », où la violence des personnages protagonistes est à la fois clownesque, gratuite et obscène. Fusils, couteaux, marteaux, haches et tronçonneuses forment un attirail de guerre menaçant qui donnent le ton quant à l’ambiance de violence manifeste dans « Violence jack ». Nous avons cherché à retranscrire cette forme de violence par les armes avec cette installation de Placoplatre, de mortier et de poussière. Après avoir recouvert de peinture noire les deux surfaces, nous avons utilisé des ponceuses pour dessiner dans la matière dans un système de retrait, révélant ainsi la couche de plâtre blanc lumineuse des panneaux de plâtre. Cette intervention « musclée », guidée par les cercles menaçant de la machine, nous a conditionné dans un dessin très « écorché » à la graphie proche de la cicatrice. Cette vision fantomatique que tu exprimes est suggérée par le halo de poussière déposé tout autour de ces “griffes”, témoignage de la brutalité du geste dans la réalisation de l’œuvre.
Quels sont tes projets à venir?
Une exposition collective au Frac de Dunkerque au mois de septembre dans le cadre de leur projet “Nouvelle génération”, et une exposition personnelle à la Straat galerie à Marseille le même mois où il sera question de mon appropriation de l’espace urbain, je n’en dit pas plus pour le moment.
Plus d’informations
Le site de Ken :
Galerie Celal :
Lasco project :
©Juillet 2014, Entretien exclusif réalisé pour lechassis.fr





